LE MONDE /////Fans de Perec : Emmanuel Carrère, Sophie Divry et Enrique Vila-Matas témoignent. 5 / 5 /2022

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Les trois écrivains évoquent la place de Georges Perec dans leur vie et leur travail. / Le Monde & Livres.  Publié le 05/05/22 à 20h.

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Emmanuel Carrère: « L’imagination folle, la malice, la tristesse de Perec »

Mais le livre de Perec qui me reste le plus proche, c’est W ou le souvenir d’enfance [Gallimard, 1975]. Sa façon de monter deux textes a priori sans rapport pour saisir en tenaille quelque chose qui échappe, quelque chose d’indicible, sa façon d’organiser un livre autour d’un blanc, cela me bouleverse toujours, et cela m’aide toujours. »

 Sophie Divry : « Il m’a apporté quantité d’enseignements »

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Mais lire Perec m’a apporté quantité d’autres enseignements. Les Choses [Julliard, 1965], que le conditionnel (du début) et le futur de l’indicatif (de la fin) peuvent produire à eux seuls un effet dans un texte ; et qu’on peut conclure un roman par une citation de Karl Marx. Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? [Denoël, 1966], qu’on a le droit d’avoir de l’humour. Un homme qui dort [Denoël, 1967], qu’on peut écrire un récit complet à la deuxième personne du singulier ; qu’un personnage peut rester immobile tout en nous fascinant. W ou le souvenir d’enfance, qu’il y a d’autres manières que l’autofiction pour aborder l’autobiographie. Tentative d’épuisement d’un lieu parisien [Christian Bourgois, 1982], qu’il y a d’autres formes que le roman pour décrire le monde qui nous entoure ; que les formes n’ont jamais de limites, mais le regard qu’on pose sur le monde si. L’Infra-ordinaire [Seuil, 1989], que pour bien écrire il faut rendre le monde désévident et « questionner ses petites cuillères ». La Boutique obscure [Denoël-Gonthier, 1973], que décidément les rêves ça ne passe jamais très bien en littérature. Je me souviens [P.O.L, 1978], qu’on a le droit de chiper des idées aux autres écrivains, qu’il ne faut pas se gêner. Avec Georges Perec, je ne me suis pas gênée, et je lui en serai toujours reconnaissante. »

Enrique Vila-Matas: «Perec, trop vivant»

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«Je soupçonne que si Perec n’a pas encore été placé aux côtés de Proust et de Céline dans le grand canon de la littérature française du siècle dernier, c’est parce qu’il est trop vivant et qu’il continue à produire des idées en permanence, comme s’il était tout le temps en train de recommander à ses lecteurs d’aller ouvrir des portes, de descendre des escaliers, de s’interroger sur tout ce qui semble avoir cessé de les surprendre. Comme s’il voulait aussi nous rappeler que ce n’est que lorsque l’esprit essaie de regarder au-delà des idées reçues que les choses commencent vraiment à devenir réelles, individuelles, détaillées, différenciées les unes des autres.

En lisant Perec l’autre jour, je me suis souvenu de quelques mots d’Adolfo Bioy Casares[1914-1999] à propos de certaines œuvres qui suivent un destin pathétique, un destin de malheur parce que « ce qu’un écrivain a travaillé avec sa ferveur la plus lucide se flétrit (…) et ce qu’il a, au contraire, fait comme dans un jeu, perdure, comme si la création insouciante communiquait un souffle immortel ». Je comprends que Perec ait opté, dès le premier instant, pour une création apparemment insouciante, c’est-à-dire pour le côté ludique de la littérature – il est un héritier clair de Sterne – et non pour la « création transcendantale », qui est ennuyeuse et, qui plus est, trop connue de tous. En d’autres termes, il a opté pour l’inverse du solennel, ainsi que pour le rire infini et pour ces moments où des choses insignifiantes commencent vraiment à devenir réelles et, par conséquent, individuelles. »

Dernier livre paru : « Cette brume insensée » (Actes Sud, 2020).
Traduit de l’espagnol par André Gabastou.

 

Perec antes de su perilla mefistofélica.

Perec antes de su perilla mefistofélica.

 

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