« Le Monde des livres » lu de l’étranger. Sept écrivains partagent leur vision du supplément littéraire du « Monde » à l’occasion de ses 50 ans.
LE MONDE | | Par Florence Noiville
Enrique Vila-Matas (Espagne)
« Je me souviens que Jacqueline Piatier a fondé “Le Monde des livres” il y a plus d’un demi-siècle (on me dit que c’était le 1er février 1967) et je me souviens aussi que, lorsque je suis allé vivre à Paris, exactement sept ans plus tard, le supplément était déjà un mythe, avait autorité et prestige, et m’a aidé à m’orienter dans le labyrinthe de la littérature mondiale. Je lui dois la lecture, dans ces années, d’auteurs du Nouveau Roman et du cercle de Tel Quel, ainsi que des livres de Beckett, Nabokov et Borges, parmi tant d’autres. Le grand mérite du supplément a été de maintenir, de manière très dynamique, le prestige et l’autorité de l’époque. »
Ersi Sotiropoulos (Grèce)
Edna O’Brien (Irlande)
Cees Nooteboom (Pays-Bas)
« A quoi ressemble l’univers littéraire d’un fétichiste des journaux ? Comme il a été élevé dans un pays où, dans sa jeunesse, c’est-à-dire il y a longtemps, on vous enseignait, outre le grec, le latin et la langue nationale, trois langues vivantes importantes, son univers est forcément multilingue, l’allemand, le français et l’anglais en font partie. Plus tard, il y a ajouté l’espagnol, de son propre chef. Le samedi, à côté des journaux de langue anglaise, c’est surtout le jour d’El Pais, avec “Babelia” : tout ce qu’il faut connaître en provenance d’Espagne et d’Amérique latine. Le vendredi, c’est “Le Monde des livres”. Amsterdam n’est qu’à quelques heures de Paris mais les deux littératures semblent parfois bien éloignées. Pourtant, chez nous aussi, à Amsterdam, à La Haye et dans beaucoup d’autres villes, “Le Monde des livres” est disponible le jour même dans les kiosques. Le Monde ne se contente pas de réduire cette distance, il nous apprend ce qui compte dans l’univers littéraire français, et ouvre à un lecteur néerlandais une fenêtre sur un monde plus vaste dont Paris reste la capitale, la littérature francophone du Maghreb, et constitue un guide inestimable pour l’Afrique francophone. L’Amérique, qui polarise tous les regards, ne traduit qu’un peu plus de 2 % de la production littéraire mondiale. La situation est heureusement différente en Europe et cela se reflète dans la presse écrite des grands domaines linguistiques. Pour tout ce que je dois au “Monde des livres” depuis cinquante ans, j’adresse au journal ces félicitations venues d’un Nord qui paraît encore à beaucoup de Français plus lointain qu’il n’est en réalité. »
Norman Manea (Roumanie – Etats-Unis)
« Il y a cinquante ans, j’étais un jeune écrivain roumain qui attendait de publier son premier livre, au titre annonciateur de Noaptea pe latura lunga (“la nuit du long côté”, non traduit). Ceausescu était en pleine ascension et, dans ce climat d’obscurité, Le Monde, comme toute la presse occidentale, vivait en Roumanie ses derniers jours ; il allait nous falloir rester seuls, avec notre immortel humour comme unique défense contre la Securitate et les gardiens de la dictature. Aujourd’hui, alors que je suis plus âgé que ce supplément littéraire – qui, lui, est éternellement jeune et dynamique –, je suis heureux de pouvoir lui exprimer enfin ma reconnaissance. Depuis mon trop pragmatique environnement américain, je lui dis ma gratitude pour les lumières durables qu’il apporte, lumières essentielles dans un monde global d’aliénation et d’exil. »
Adam Thirlwell (Royaume-Uni)
« Depuis que j’ai commencé à lire de la littérature, j’ai poursuivi un rêve bilingue ou polyglotte. Pour cela, le salon de Gertrude Stein, au 27 rue de Fleurus, à Paris, me semblait être l’endroit idéal. Et si, évidemment, ce rêve n’est pas simple à atteindre pour une personne seule, il y a des moyens pour le rendre réalisable. L’un de ceux que je me suis trouvés est de lire “Le Monde des livres”. Une sorte de vaste salon imprimé, si calme, si érudit… Quelles que soient les formes d’art, il ne saurait y avoir de création sans critique, pas d’innovation qui n’exige une immédiate compréhension – c’est une vérité à laquelle j’ai toujours cru. Sans “Le Monde des livres”, comment lirions-nous notre littérature ? »
William Boyd (Royaume-Uni)
« Depuis l’autre côté de la Manche, ici en Angleterre, nous regardons avec jalousie “Le Monde des livres”. Il semble être le parfait supplément littéraire pour un quotidien – quelque chose que nos journaux ne sont pas tout à fait capables de reproduire. Avoir un de mes romans critiqué dans “Le Monde des livres” est un plaisir intense, parce que tout ce qui est écrit sur vous en français sonne mieux à une oreille anglaise : d’une certaine manière, cela semble plus sérieux, plus sophistiqué, plus nuancé. Aujourd’hui, la culture littéraire, au sens large, dépend d’autant plus du journalisme littéraire que la critique universitaire est enlisée dans la chambre d’écho de ses théories et de ses idéologies. Seuls les journaux ont su maintenir comme il se doit cette vieille tradition de la discussion civilisée, celle qui repose sur l’échange d’analyses, le débat d’idées et l’évaluation critique. “Le Monde des livres” est un modèle. Bravo ! Je lui souhaite de prospérer encore longtemps. »
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