Frère de glace, de Alicia Kopf/ UNA CONTRIBUCIÓN AL CALENTAMIENTO LITERARIO GLOBAL.

Por fin este blog ha logrado tener acceso a la reseña del libro de Alicia Kopf el año pasado en Le Monde.

A young girl from the village of Chaung Lin runs next to wet books drying, to receive food thrown from a boat on May 23, 2008 in the isolated area of Kanzeik in the Irrawaddy Delta region -- an area only accessible by boat which has received neither government nor foreign aid. Voters in regions devastated by the cyclone, many hungry and destitute, cast ballots on May 24 in a referendum that many said was meaningless because Myanmar's junta has already declared victory. AFP PHOTO/LISANDRU (Photo credit should read LISANDRU/AFP/Getty Images)

« Frère de glace » (Germà de gel), d’Alicia Kopf, traduit du catalan par Marie Vila Casas, Robert Laffont, « Pavillons », 288 p., 20 €.

Le climat de Barcelone se prête assez peu à l’observation des icebergs. C’est pourtant là, sur les rivages méditerranéens où elle ­habite, que l’artiste et écrivaine Alicia Kopf a eu l’idée de son ­premier roman : Frère de glace, un objet littéraire hybride qui traduit sa fascination pour les contrées les plus froides du globe et notamment pour la conquête des pôles au tournant du ­XXe siècle.

« J’avais une vingtaine d’années pendant la crise économique qui a touché l’Espagne [2008-2013]. J’éprouvais les difficultés que rencontre toute personne qui, à la fin de ses études, essaie d’entrer dans le monde. J’ai alors ressenti le ­besoin de bâtir un récit épique. Un récit qui me permette de résister à cette situation marquée par la congélation de l’économie et des opportunités professionnelles », retrace, de passage à Paris, Alicia Kopf, née Imma Ávalos, à Gérone, en 1982.

Diplômée des beaux-arts de l’université de Barcelone, ainsi qu’en théorie littéraire et en littérature comparée, la jeune femme s’était d’abord lancée dans un doctorat sur l’imaginaire visuel de la conquête des pôles, la preuve par l’image étant indis­sociable de ces exploits. Au milieu de son cursus, le manque de débouchés professionnels ­évidents la convainc d’orienter ses recherches vers des fins purement artistiques, tout en gardant un travail « alimentaire ».

Elle élabore donc un projet en deux volets : d’abord une série d’expositions (« Articantartic ») abordant l’aspect iconogra­phique et plastique de son sujet, avec une réflexion, souvent ironique, sur l’idée de conquête – celle des pôles n’ayant alors aucune autre justification que l’exploit individuel – et un livre, qui en serait le prolongement plus personnel.

Après avoir découvert le journal d’Ernest Shackleton (1874-1922), cet explorateur anglo-irlandais qui, en tentant la traversée de ­l’Antarctique en 1914, vit son ­navire et son équipage faits ­prisonniers des icebergs, elle a l’idée de transposer cette épopée au contexte familial : « Que se passe-t-il quand on se confronte aux glaces familiales, à ces zones de congélation qui se sont installées entre les membres d’une même ­famille à problèmes ? J’ai voulu ­déplacer le récit d’une épopée masculine vers le domaine du foyer. » Son univers proche, ou du moins celui de sa narratrice, est tout aussi ardu que celui des déserts arctiques : un frère atteint d’une forme sévère d’autisme, des ­parents séparés depuis plus de vingt ans, une mère, « conquérante polaire », tirant seule « [s]on frère dans un traîneau », et elle-même, se débattant avec les ­obligations matérielles de l’âge adulte.

Construit en fragments, son ­récit, qui mêle essai, textes d’autofiction et journal, repose sur des juxtapositions d’images – celles de l’intime et celles des aventures arctiques – qui font ­ressortir les contrastes entre les deux situations, « l’une éclairant l’autre ». La narratrice y expose ainsi, à la lumière des expéditions de Robert Peary (1856-1920), de Frederick Cook (1865-1940), ou de Roald Amundsen (1872-1928), la façon dont elle tente de surmonter ses relations avec chacun de ses parents, et de s’extraire des impasses de sa vie amoureuse et professionnelle. C’est toute une « quête d’identité » élaborée autour de la ­présence du frère handicapé que nourrit cette construction comme un montage de cinéma, soigneusement pensée, où cohabitent texte et images (dessins, photos, séquences de film). « Le récit avance grâce aux petites ­découvertes de la narratrice. »

Dans ce livre en train de se faire, elle a choisi d’alterner les trouvailles encyclopédiques, le rapport de ses visites chez un psychologue, qui l’éclairent sur ses difficultés à trouver sa place dans sa famille, et le récit de ses escapades à l’étranger, où elle fait face à sa propre solitude. Son dernier voyage, effectué en Islande pour les besoins du livre, lui permet de se confronter physiquement et pour la première fois à l’expérience de la « vraie glace ». « L’idée était de s’approcher de l’inconnu, dans la mesure où l’on découvre quelque chose de soi-même dans un territoire qui ne nous est pas ­familier. »

Parmi tous les pays de la région arctique, le choix de l’Islande tient à la présence du volcan ­Snæfellsjökull où Jules Verne a ­situé le Voyage au centre de la Terre (1864). Alicia Kopf souligne le lien entre les personnages du romancier, éjectés d’un cratère et échoués sur les flancs du volcan de Stromboli, et les dernières images du film de Rossellini, Stromboli (1950), qui montrent Karen, l’héroïne incarnée par ­Ingrid Bergman, embourbée dans les cendres du même ­volcan. Elle propose « un chemin inverse de celui de la protagoniste du film, une réparation historique : du Stromboli des années 1950, où une femme est bloquée (…), à l’Islande contemporaine, où une jeune femme peut faire de l’auto-stop librement ». Autrement dit, la possibilité d’une émancipation salutaire.

Publié à la suite d’un concours littéraire réservé aux moins de 35 ans, Frère de glace a rencontré un succès inattendu en Espagne. Enrique Vila-Matas lui-même, qu’Alicia Kopf tient pour un de ses auteurs de chevet, a notamment estimé que « dans un autre pays, ce livre aurait changé jusqu’au cours de l’histoire ». Au vu de son accueil, il aura au moins contribué, pour le mieux, au ­réchauffement littéraire mondial.

L’histoire de la conquête des ­zones polaires,au tournant du XIXe siècle, offre à Alicia Kopf, dans son premier roman, une métaphore des plus originales pour évoquer ses propres luttes avec les situations de froid dans lesquelles elle tente de se mouvoir. Qu’il s’agisse de son frère, « un homme pris dans la glace » car atteint d’autisme, de ses relations complexes avec sa famille, ou de sa précarité professionnelle et sentimentale, tout concorde à faire de sa jeune vie d’adulte une banquise où elle s’enlise. Riche de documents ­historiques et de notes de recherche donnant à voir le livre en cours d’élaboration, cet objet littéraire mêlant ­essai et autofiction fascine par ce qu’il met en parallèle. D’un côté les exploits géographiques des aventuriers d’hier, de l’autre la grande aventure, semée d’obstacles douloureux, que constitue la quête de soi : « une nouvelle épopée, sans concurrents et sans ennemis ; l’épopée de soi-même ».

D’une écriture à la fois précise et ­mélancolique, Alicia Kopf fendille ­joliment, à coups de pages de journaux intimes et de micro­récits sur son entourage familial et sentimental, la glace que sa narratrice a créée autour d’elle, carapace fragile à l’assaut d’un monde hostile, sans prise. A mesure que l’histoire progresse avec précaution vers la libération des carcans qui la paralysent, ce texte multifacette, comme un flocon de neige, dévoile surtout la possibilité de surmonter par la littérature ses vortex intérieurs.

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